La Bell & Howell est la caméra la plus utilisée par les studios d’Hollywood entre la fin des années 1910 et la fin des années 1920. Ses magasins en forme d’oreilles lui valent son surnom de « Mickey Mouse Ears ». Sa silhouette te sera peut-être familière, car la Bell & Howell est aujourd’hui l’icône utilisée comme émoji pour représenter les caméras d’autrefois.
Découvre comment cette caméra imposante et robuste a changé notre vision du monde. Cette caméra emblématique a beaucoup influencé les pratiques des cinéastes professionnels. C’est la caméra la moins portable des six, mais elle te permettra de comprendre, à titre de comparaison, le développement des autres caméras portables. Dans quel contexte a-t-elle été inventée ? Comment fonctionne-t-elle ? Qui opérait cette caméra à l’époque ? Tu auras la chance de trouver réponse à toutes ces questions et de visionner quelques films canadiens tournés avec la Bell & Howell.
Tu peux te reporter à la section « ressources additionnelles » si tu souhaites consulter un glossaire des termes techniques.
Le début du cinéma institutionnel
Au début des années 1900, les cinéastes recherchaient des caméras avec plus de précision pour tourner leurs films. Place à la Bell & Howell !
Reconnue pour sa grande qualité et sa précision, la Bell & Howell était considérée à sa sortie comme étant à la pointe des caméras professionnelles : elle produit de belles images, stables et nettes, mais elle est très lourde et peu portable.
Métallique, imposante et robuste la Bell & Howell utilise de la pellicule 35 mm et permet de visualiser le plan avant une prise pour cadrer et faire la mise au point grâce à un système ingénieux détaillé plus bas. Les opérateurs et leurs assistants professionnels doivent fixer cette lourde caméra sur un trépied. Ils peuvent ainsi capter des images d’une très grande stabilité.
La Bell & Howell est la caméra la plus utilisée par les studios hollywoodiens entre la fin des années 1910 et la fin des années 1920. Sa production cesse en 1958. On en retrouve plusieurs en usage dans des studios d’animation au tournant des années 2000.
La précision et la stabilité de la Bell & Howell en font une caméra de studio de choix qui a influencé les pratiques et l’esthétique du cinéma. Elle accompagne le début de la gloire des films muets des grands studios hollywoodiens qui ont établi les codes du cinéma encore en vigueur aujourd’hui.
Des exemples de films canadiens tournés avec la Bell & Howell
On retrouve également la Bell & Howell au Canada : en effet, le Canadian Government Motion Picture Bureau dispose de ces caméras pour les tournages en studio et en extérieur : « Crée en 1918, il est la première unité nationale de réalisation de films au monde. Son objectif est de réaliser des films faisant la promotion des secteurs du commerce international et de l’industrie au Canada. Il a été repris en 1941 par L’ONF […] Le Bureau détient le plus grand studio et l’installation de postproduction la plus importante au Canada1 ». Le Bureau entretient également des liens étroits avec les studios hollywoodiens, permettant à ceux-ci d’investir le développement de l’industrie cinématographique canadienne.
1 https://thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/canadian-government-motion-picture-bureau
Carry on, Sergeant !
Tourné dans les studios appartenant à l’Ontario Motion Picture Bureau à Trenton en Ontario, ce film obtient un budget colossal pour l’époque : un demi-million de dollars canadiens. Gordon Sparling, un des pionniers du cinéma canadien (il fut engagé par l’Ontario Motion Picture Bureau, puis travailla pour Associated Screen News et l’ONF) était le caméraman.
L’extrait sélectionné situe l’action dans un petit café. Très peu de mouvements de caméra sont effectués lors du tournage de ce film. On voit ici toute la lourdeur et la difficulté d’opérer des mouvements fluides dans ce panoramique. Les plans fixes sont, eux, d’une grande qualité.
Les décors du film sont recréés dans un studio comme on peut le voir sur ces deux photographies :
Back to God’s Country
Une partie de ce film est tournée à Faust, en Alberta. Ce film a pour héroïne Nell Shipman, une actrice, scénariste, productrice et réalisatrice canadienne établie à Hollywood. Cet extrait illustre la très bonne qualité des images produites par la Bell & Howell. Le dernier plan, une surimpression de plusieurs plans, est un bon exemple des possibilités d’effet réalisé au moment du tournage avec cette caméra.
Certaines séquences du film ont été tournées en extérieur en hiver avec des températures avoisinant parfois les — 50 degrés Celsius. Résolument robuste, la caméra restait constamment dehors, même la nuit, pour éviter qu’il y ait des problèmes causés par des variations de température.
Le directeur du Bureau, Ben Norrish, fut également directeur de l’Associated Screen News of Canada (ASN), créé en 1920. Cette compagnie est à l’origine de la majorité des films d’actualité, et des films corporatifs au Canada dans ces années-là. ASN a fermé le département des productions cinématographiques en 1957.
ASN disposait également de plusieurs caméras Bell & Howell et des caméramans canadiens de renom ont régulièrement travaillé pour eux.
Quelques exemples de tournages intérieur et extérieur :
Genèse d’une invention
La Bell & Howell tient son nom de deux hommes qui ont ensemble collaboré à son invention : Donald J. Bell et Albert S. Howell.
Au début des années 1900, alors que Chicago était l’épicentre de l’industrie du cinéma, M. Bell, un projectionniste et M. Howell, un ingénieur dans une manufacture de pièces de projecteurs, décident de créer la compagnie Bell & Howell. Ils se spécialisent dans la réparation de matériel cinématographique, la fabrication de tireuses et de perforatrices. Ils démarrent donc leur entreprise en étant au fait des limites des machines et des attentes du milieu professionnel en plein essor. Cette première spécialisation influence les futures conceptions des caméras de la marque. Les perforations B&H deviennent ensuite une référence à l’international.
En 1912, Bell et Howell mettent au point la caméra 2709 modèle B, connue sous le nom de « the Standard Camera » dont le système d’entraînement de la pellicule très performant continue d’être une référence. Dans le détail, ce sont deux griffes qui assurent le mouvement de la pellicule, puis un cadre presseur plaque la pellicule au moment où elle est exposée à la lumière. Cela permet de réaliser de manière très précise des effets au moment de tournage.
Motion Picture Machine. Brevet du premier modèle en bois de la Bell & Howell.
Ce brevet de cinq pages dont trois de dessins garantit la propriété intellectuelle et le monopole de l’exploitation à son inventeur. Albert Howell y expose le mécanisme développé pour permettre une grande précision lors de la prise de vue. Cet appareil correspond au premier modèle en bois de la 2709. Des ajustements sur le modèle B seront ensuite apportés notamment dans la structure qui devient entièrement métallique, et au mécanisme d’entraînement de la pellicule. Une différence notable se situe également à l’emplacement du magasin qui sur le premier modèle est à l’intérieur de la caméra et sur le modèle B est à l’extérieur.
Ce module PDF pourrait être innaccessible. Une version alternative est disponible en dessous.
La Bell & Howell modèle B est la première caméra métallique à être largement utilisée par les opérateurs des studios2. Elle a un large succès et arrive à concurrencer la caméra en bois Pathé Professionnelle.
2 Les studios construits à Hollywood, ressemblent en quelque sorte à celui d’Edison que tu as pu voir dans la fiche du Cinématographe en beaucoup plus grands.
Environ 1200 caméras ont été produites au total. Elle est majoritairement utilisée jusqu’à la fin des années 1920 et l’arrivée du cinéma « sonore »3. Elle n’est plus produite après 1958.
La Bell & Howell coûtait environ 2000 dollars US à l’époque, soit environ 72 000 dollars canadiens d’aujourd’hui. À cela s’ajoutaient les différents objectifs et accessoires achetés en supplément et le tout pouvait coûter l’équivalent du prix d’une maison. À part quelques grands noms du cinéma, comme Charlie Chaplin, seuls les studios avaient les ressources financières pour s’équiper avec du matériel aussi coûteux.
3 Le célèbre Jazz Singer, considéré comme l’un des premiers films parlants de l’histoire, sort en 1927.
Fiche technique de la caméra
Quelles étaient les caractéristiques de cette caméra qui la rendait si professionnelle, précise et stable?
Caractéristiques
- Dimensions
- 38 x 18 x 38 cm
- Poids
- 12 kg avec objectifs et magasins. 41 kg avec trépied et boîte de rangement. Le poids est gage de grande stabilité de la caméra
- Matériaux
- Entièrement métallique, essentiellement en aluminium.
- Vitesse de prise d’images
- Environ 16 images/seconde. Cette vitesse était variable puisque la pellicule défilait à l’aide d’une manivelle actionné par l’opérateur.
Composantes et accessoires
- 4 objectifs montés sur une tourelle circulaire rotative
- C’est la première caméra professionnelle qui permet d’effectuer un changement rapide d’objectifs.
- La manivelle
- Elle doit être actionnée à raison de 2 tours par seconde pour obtenir une prise de vue à 16 images/seconde.
- Un trépied qui pèse environ 9 kg
- Muni de deux manivelles pour effectuer panoramiques horizontaux et verticaux. Les mouvements peuvent être relativement saccadés.
- Bobine de pellicule
- Entre 120 et 305 mètres de pellicule 35 mm qui deviendront le standard dans l’industrie, soit jusqu’à 16 minutes enregistrées sans changement de bobine.
- Compteur pellicule
- Un compteur image avec possibilité de rembobiner la pellicule pour procéder à des surimpressions, effet au moment du tournage qui capte deux images superposées pour n’en former qu’une seule.
Particularités de l’appareil
- Mécanisme pour stabiliser le défilement/arrêt de la pellicule.
- Cet élément permet de tourner des images d’une grande qualité et précision.
- Muet
- Possibilité de synchroniser le son avec l’ajout d’un moteur et utilisation d’un caisson d’insonorisation et des magasins de 305 mètres insonorisés, mais ce n’est pas le modèle le plus adapté pour le cinéma parlant.
Ses inconvénients majeurs
- Son viseur renvoie une image inversée.
- Son parasoleil ne permet pas d’insérer des filtres qui doivent alors être fixés directement sur les objectifs.
Le fonctionnement et la prise en main
Il est très rare de retrouver des manuels d’instruction des caméras professionnelles de l’époque. L’apprentissage se faisait sur le terrain, au côté de caméramans déjà expérimentés.
La caméra était opérée par des caméramans et des assistants sous les ordres d’un-e réalisateur-trice. Sur un plateau de tournage, chacun y avait un rôle très circonscrit pour gagner en efficacité et rentabilité.
La mise en place de la caméra avant de pouvoir actionner la manivelle implique de nombreuses étapes : chargement de la pellicule dans les magasins, cadrage, mesure de l’ouverture, mise au point, etc.
Sur cette caméra, il n’y a pas de viseur réflex, c’est-à-dire qu’on ne voit pas ce qui est filmé au moment du tournage. En revanche, un système est conçu pour cadrer et faire le focus avant de tourner un plan : l’œilleton de la caméra permet de contrôler ce qui est filmé par l’objectif qui se trouve à 180º de l’objectif utilisé pour la prise de vue. Il est donc possible de cadrer et faire le point à travers l’œilleton. Puis l’opérateur bascule l’objectif en position de prise de vue en faisant pivoter la tourelle. Cela produit un léger effet de parallaxe (ce n’est pas exactement le même cadre), ce qui peut être parfois gênant lorsque les personnages sont proches des bords du cadre. Dans ces cas-là, le trépied particulier est nécessaire, ou plus exactement la tête de trépied. En effet, ce dernier fonctionne de pair avec le système de visée de la caméra. Il y a deux positions de caméra : avant et au moment de filmer.
Ensuite, la Bell & Howell doit être actionnée par manivelle à raison de deux tours par seconde (c’est le même principe que le Cinématographe). Elle permettait aux caméramans de varier la vitesse de prise de vue pour créer des effets accélérés lors de la projection. C’est une latitude créative permise par la manivelle. À partir de 1919, elle peut être remplacée par un moteur.
Le caméraman plaçait souvent son poignet dans le prolongement de l’axe de la manivelle. La caméra est lourde et posée sur un trépied, il n’y a donc pas besoin de l’immobiliser lors de la prise.
Lorsque le trépied est monté au maximum, la caisse de rangement de la caméra peut servir de marchepied pour le caméraman.
Les opérateurs ne pouvaient pas voir ce qu’ils filmaient au moment de la prise. Maîtriser un mouvement de caméra « à l’aveugle » était d’autant plus difficile et demandait de l’expérience. Notons que les mouvements de caméra sont rares à cette époque, ce qui sous-tend une certaine immobilité du caméraman au moment de la prise.
Le caméraman opère la caméra seul, mais cela est plus difficile lorsqu’un mouvement de caméra est nécessaire et implique d’actionner en même temps les manivelles du trépied. Même si certains caméramans arrivent à faire les deux, c’est-à-dire qu’ils actionnent la caméra d’une main et de l’autre une des manivelles du trépied pour effectuer les panoramiques verticaux et horizontaux, lorsqu’un assistant est disponible, il peut être sollicité pour cette tâche.
Ainsi, l’assistant-caméraman ne s’occupe pas de la caméra à proprement parler. À l’époque, il se voit attribuer des tâches assez simples comme transporter la caméra, s’occuper de l’identification des prises avec la claquette, tenir un réflecteur ou faire le marquage le sol du studio pour donner aux acteurs les bordures du cadre. L’assistant peut prendre aussi quelques notes pour chaque prise comme la longueur de la prise, les réglages de la caméra et les entrées et sorties dans le cadre des acteurs.
Lorsque l’assistant est sollicité pour un mouvement de caméra, il doit coordonner son action avec celle du caméraman et actionner les manivelles du trépied en fonction du rythme du mouvement souhaité.
Enfin, pour rendre la caméra plus mobile, les grosses productions pouvaient fixer une Bell & Howell à l’arrière d’une voiture aménagée pour le caméraman. L’autre option était de faire bouger le décor à l’arrière des comédiens plutôt que la caméra.
L’utilisateur de la Bell & Howell
Dès le début, l’objectif de la firme Bell & Howell était d’atteindre l’industrie cinématographique en pleine expansion. Elle est conçue et utilisée par des caméramans professionnels.
Pour être un caméraman professionnel compétent, il faut détenir des qualités essentielles telles que : être méthodique, concentré, posséder de très bonnes connaissances techniques, être adroit de ses mains, débrouillard, avoir un sens artistique développé et une bonne mémoire.
Les hommes ont majoritairement occupé ces postes lorsque l’industrie cinématographique a pris de l’ampleur, néanmoins de très nombreuses femmes ont également opéré ou réalisé des films avec cette caméra à la fin des années 1910.
Ressources additionnelles
Voici un lien vers un lexique qui te permettra de mieux comprendre certains termes utilisés : Glossaire du cinéma
Tu es curieux ? Tu veux en savoir plus sur la Bell & Howell et les cinéastes qui l’ont utilisée ? Voici des liens vers d’autres contenus qui te permettront d’approfondir tes connaissances.
- The Balloonatic coréalisé par Buster Keaton et Edward F. Cline en 1923. Film tourné à l’aide d’une Bell & Howell 2709. Disponible intégralement en ligne.
- The General coréalisé par Buster Keaton et Clyde Bruckman en 1926. Film tourné à l’aide d’une Bell & Howell 2709. Disponible intégralement en ligne.
- The Extra Girl réalisé par F. Richard Jones en 1923, avec Mabel Normand dans le rôle-titre. Une scène illustre le travail sur un plateau de tournage, avec deux Bell & Howell 2709 (de 37min33 à 41min31)
- The Gold Rush réalisé par Charlie Chaplin en 1925.
- Témoignage de Karl Brown dans son livre Adventures with G. W. Griffith paru en 1988 aux éditions Faber & Faber est enrichissant pour comprendre la vie et l’apprentissage d’un caméraman de l’époque.
- Women Film Pioneers Project
- Site de l’American Society of Cinematographer
- L’histoire du film canadien : 1896 à 1938
- Bande-annonce du documentaire Et la femme créa Hollywood
Bibliographie
Howell, Albert. S. 1911. « Motion Picture Machine ». Brevet No. 1,038,586. United States Patent Office.
Mannoni, Laurent. 2016. De Méliès à la 3 D : la machine cinéma. Paris : Lienart Editions.
Morris, Peter. 1978. Embattled Shadows : A History of Canadian Cinema, 1895–1939. Montréal : McGill-Queen’s University Press.
Raimondo-Souto, H. Mario. 2007. Motion Picture Photography : A History 1891–1960. Jefferson, N.C. : McFarland.
Salt, Barry. 2009. Film Style and Technology : History and Analysis. Londres : Starword.
Shipman, Nell. 1987. The Silent Screen & My Talking Heart. Boise : Boise State University.
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