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Afin de répondre à un besoin de portabilité et de communication, le Portapak devient la référence pour les artistes engagés qui ont un message à faire passer. Le Portapak permet aux cinéastes, communautés et caméramans une grande liberté de parole pour communiquer leur réalité et leur opinion à un large public.
Tu peux te reporter à la section « ressources additionnelles » si tu souhaites consulter un glossaire des termes techniques.
Une caméra vidéo au service de la communauté
Comme son surnom l’évoque, le « Portapak » est conçu pour être portable et manipulé par une seule personne. Difficile de trouver un surnom plus portable pour une caméra, n’est-ce pas ?
Le « Portapak » Sony Video Rover II (AVC-3400) fut commercialisé en 1970. Issu du développement de la technologie du magnétoscope dans les années 1960, cet appareil léger et facile à prendre en main est composé de deux éléments : une caméra et un enregistreur portable. La caméra est équipée d’un microphone qui transmet des signaux audiovisuels à l’enregistreur portable relié à la caméra avec un câble. L’enregistreur portable de type magnétoscope permet de rembobiner la cassette et visionner la scène enregistrée immédiatement après la fin de la prise ; ce qui n’était pas possible avec une caméra pellicule. Le Portapak produit une image noir et blanc de basse définition qui peut ensuite être diffusée sur un poste de télévision.
Que ce soit au sein d’un atelier de production vidéographique communautaire comme le Vidéographe à Montréal ou au sein d’un collectif féministe d’intervention vidéo nommé Vidéo Femmes à Québec, les opérateurs et opératrices utilisent cette nouvelle caméra au profit de créations engagées.
Des exemples de vidéos
Philosophie de boudoir
C’est l’année internationale de la femme, au Salon de la Femme à Québec. Nicole Giguère et Helen Doyle, les deux réalisatrices, proposent un vox pop, interrogeant femmes et hommes sur des thématiques dites féminines. Les discours misogynes enregistrés en direct sont ensuite mis en perspective avec humour au moment du montage. À travers ces entrevues, elles révèlent les problèmes de sexisme ancrés dans la structure même du salon et dans les mentalités des gens. Dans cet extrait, on peut voir la facilité avec laquelle elles ont pu filmer partout dans le salon. Avec le Portapak, elles peuvent enregistrer librement la parole et filmer les gens. L’image créée par le Portapak est de relativement mauvaise qualité et se dégrade dans le temps. Néanmoins, cela a permis la liberté de ton et d’action de ces réalisatrices.
Le Magra
Dès le début de l’extrait, on constate que le Portapak est petit et permet de filmer relativement n’importe où, ici dans la voiture. Les deux réalisateurs se répartissent caméra et enregistreur d’un côté et micro externe de l’autre. Ils sont reliés par câbles et doivent absolument se mouvoir ensemble.
Les deux réalisateurs utilisent pour ce film la caméra vidéo afin de pouvoir filmer librement dans un cadre très contraint. Ils apportent un discours critique par le choix de plans et ces plans ne sont possibles que parce que la caméra se faufile partout, qu’elle est portable et opérable à deux.
Genèse d’une caméra vidéo
Pour comprendre le Portapak et l’idée derrière cette caméra vidéo, il faut la replacer dans le contexte de l’après-guerre. La création de caméras vidéo dans les années 50 est influencée par plusieurs facteurs, dont des réflexions sur la communication et la nécessité d’être compatible avec la diffusion télévisée en plein essor.
SONY est créé en 1946 et une vingtaine d’ingénieurs compose alors l’équipe qui travaille au développement et à la production d’équipement de communication. Le succès est vite au rendez-vous d’abord au Japon, puis à l’international.
Le Portapak est un des premiers systèmes vidéo portatifs à la disposition des particuliers, amateurs, artistes, mais également producteurs indépendants dans les années 1970.
La création de caméras vidéo est influencée par le principe de feed-back — boucle retour — une innovation majeure née de la technologie de la vidéo et popularisée ensuite dans l’art vidéo.
En 1965, SONY lance son Portapak vendu avec un trépied et un microphone. C’est le premier d’une longue série !
La vidéo devient un outil de démocratisation des médias, entre autres avec la création de médias communautaires, radios et télévisions. Elle naît dans le contexte de l’émancipation des femmes, des mouvements sociaux des années 60 et 70. La vidéo part d’une envie de s’affranchir des codes et structures du cinéma pour aller au plus proche des « vraies gens ». Cette nouvelle manière de sortir des studios, de faire témoigner directement des gens puis de le diffuser sur des réseaux communautaires alternatifs, participe au débat sociétal et accompagne les changements en cours partageant nombre d’évènements et actions politiques. Très rapidement, la vidéo incarne la subversion, la contestation, la marge.
Fiche technique Portapak AV-3400 et AVC-3400
Caractéristiques
Dimensions caméra seule
38 cm x 7 cm x 13 cm
Dimension enregistreur
27,7 cm x 7,1 cm x 26,6 cm
Poids caméra et enregistreur
11 kg
Matériaux
Plastique, métal
Composantes et accessoires
Le câble
La caméra et le microphone envoient les signaux à l’enregistreur via le câble.
L’enregistreur portable
Permet d’enregistrer les signaux de la caméra, du micro et de rembobiner pour visionner la scène captée immédiatement après. Ce n’était pas possible avec une caméra pellicule.
Bande magnétique ½ pouce noir et blanc
Contrairement à la pellicule, la bande magnétique offre la possibilité d’effacer et réenregistrer plusieurs fois sur la même bande. Elle permet d’enregistrer une trentaine de minutes d’images de basse définition.
Objectif 7-56mm
Un zoom permet d’ajuster rapidement le cadre au tournage.
Viseur électronique
Permet de voir ce que l’on filme au moment du tournage. Possibilité de visionner à travers l’œilleton immédiatement après avoir tourné les images enregistrées.
Batteries avec une autonomie de 45 min
L’enregistreur peut être alimenté par des batteries ce qui donne une plus grande liberté à l’opérateur lors du tournage. Possibilité de le brancher sur une prise électrique ou dans une voiture.
Micro mono intégré
La caméra contient un microphone intégré, elle est donc très silencieuse. Les écouteurs permettent de contrôler la qualité de l’enregistrement sonore pendant le tournage. Possibilité d’adjoindre un micro externe.
Trépied
Il est beaucoup utilisé lors d’entretiens filmés. Pour fixer la caméra dessus, il suffit d’ôter la poignée sous la caméra.
Sac en bandoulière ou sac à dos pour l’enregistreur
Permet de libérer l’opérateur qui peut se consacrer entièrement à la caméra lors du tournage. La caméra et l’enregistreur peuvent être opérés par une seule et même personne.
Particularités de l’appareil
Portabilité
Le Portapak constitue une alternative aux très lourdes caméras professionnelles de télévision utilisées en studio et peut être opéré par une seule personne sur le terrain. Le tout pèse néanmoins 11 kg.
Fonctions automatiques
La caméra dispose de fonctions automatiques qui permettent de simplifier l’opération de la caméra, ce qui la rend utilisable par des amateurs.
Le fonctionnement et la prise en main
Faire des reportages pour la télévision sur le terrain, seul, n’aura jamais été aussi accessible qu’avec la caméra vidéo Portapak. Sa portabilité et ses fonctions automatiques en font une caméra relativement simple à utiliser.
Il suffit de brancher la caméra à l’enregistreur, appuyer sur le bouton déclencheur, laisser chauffer l’appareil, puis ajuster les paramètres comme pour les caméras pellicules. L’enregistreur préalable chargé de la bande magnétique, la batterie et les écouteurs peuvent être transportés dans la sacoche de tournage.
Dans les faits, il était toutefois nécessaire de réaliser un certain nombre d’étapes avant de pouvoir filmer. Ce n’est pas encore instantané !
Manuel d’instruction de la caméra AV-3400 de SONY
Ce manuel de 9 pages explique pas à pas le fonctionnement de la caméra, les diverses possibilités de réglages et les bons réflexes à adopter pour filmer. Quelques dessins illustrent ce qui est décrit. Voici les sections qui composent le manuel : précautions, emplacement des composantes et des commandes, source d’électricité, chargement de la bande, enregistrer avec la caméra vidéo, enregistrer un programme télévisé, lecture des bandes, doublage sonore, effacement des bandes, recharge des piles, entretien, raccordement des bandes, spécifications.
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Manuel d’instruction du Portapak à destination des équipes de vidéastes.
Ces extraits du manuel sont rédigés dans le but de donner un descriptif très détaillé des étapes pour utiliser la caméra. Le manuel manuscrit fait originellement plus de 70 pages. L’écriture est relativement petite et très resserrée et certains textes sont accompagnés de croquis.
Ce manuel fait état des problèmes qu’il est possible de rencontrer lors des tournages et n’est pas écrit à destination des premiers utilisateurs de la caméra. Il rend compte aussi de la collaboration et l’entraide des vidéastes et de l’idéologie qui sous-tend leur travail collectif.
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Le vidéaste est relativement libre de ses mouvements. Il peut regarder dans le viseur pour cadrer, mais ce n’est pas une obligation. En effet, contrairement aux caméras argentiques, pour lesquelles la lumière ne doit pas passer par l’œilleton au risque d’altérer l’image filmée, ici il est possible d’être beaucoup plus mobiles. La caméra est en ce sens moins contraignante.
Le vidéaste peut opérer seul la caméra et l’enregistreur, mais le tout pèse quand même près de 4 fois plus que la Bolex ! Il est donc commun de voir deux personnes opérer l’appareil, l’un tient la caméra, l’autre s’occupe de l’enregistreur et/ou du microphone.
Le tournage en vidéo va permettre aux projets de se multiplier, car les tournages sont plus rapides avec des équipes plus petites à la hiérarchie moins rigide. Le fonctionnement de ces caméras offre finalement une plus grande liberté et indépendance aux vidéastes.
Utilisateurs
The Sony VideoRover II... small, but oh my!
Publicité pour la vente du SONY VideoRover 2. On peut y lire en premier paragraphe :« Aujourd’hui, presque tout le monde sait que ce n’est pas votre taille qui détermine qui vous êtes… mais bien ce que vous êtes à même d’accomplir. Et c’est bien ce qui compte avec le VideoRover II. À la fois caméra vidéo et enregistreur sonore, le VideoRover II est compact, portable, et vous permets de tourner des images de télévision où que vous soyez » [traduction].
Utilisations possibles, d’après cette brochure, dans les domaines du travail, de l’industrie, de l’éducation, du sport, mais aussi plus surprenant pour l’armée, les pompiers, la vidéo surveillance et pour les assurances !
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Les utilisateurs sont des particuliers, des amateurs, des militants de plusieurs communautés (féministes, personnes racisées, autochtones, LGBTQ+), des artistes visuels, des plasticien.nes et même des cinéastes et des journalistes. Il y a aussi les coops et les écoles. Malgré le coût de l’appareil relativement élevé (environ 1500 dollars US de 1970 soit 14 000 dollars canadiens d’aujourd’hui), c’est un succès commercial, avec des milliers d’exemplaires vendus à travers le monde.
Ce matériel peut être emprunté dans des coops, ce qui en fait un outil privilégié pour une production d’œuvre engagée. À Montréal, Vidéographe, par exemple, qui a distribué Le Magra, est un espace de location, de création et de diffusion d’œuvres engagées.
Au Québec et en France, la vidéo a beaucoup été utilisée par les femmes dans une volonté de soulever des questions d’égalité des genres. Les vidéastes souhaitent changer les choses, faire évoluer la société en révélant ses travers. Par exemple, Vidéo Femmes, collectif fondé par Helen Doyle et Nicole Giguère souhaite produire et diffuser des vidéos faites par des femmes pour les femmes.
Le Portapak est au service de la communauté aussi parce qu’il permet une large diffusion de contenus, à la télévision. La vidéo a permis la production de contenu pour les Télévisions Communautaires Autonomes (TCA) : une quarantaine de télévisions communautaires incorporées en organismes sans but lucratif qui œuvrent en production télévisée locale et/ou régionale, à diffuser du contenu sur le canal communautaire de leur territoire. Ces TCA adhèrent à des valeurs et à des principes qui les guident et dont elles font la promotion. Ces stations sont aussi dirigées par des citoyens1.
Au Québec, des groupes de citoyens choisissent de mettre sur pied un tel type de média communautaire parce qu’ils croient en sa capacité à unir la communauté autour d’enjeux importants. La prise de parole citoyenne est considérée comme un moyen de participer aux changements sociaux. La télévision devenait accessible et formatrice pour les militants qui choisissent de s’y impliquer.
En parallèle de ce premier usage, de nombreux artistes venant d’autres domaines artistiques adoptent la vidéo comme un nouveau mode d’expression prolongeant le cinéma. C’est un média en devenir qui ouvre la porte à de nouvelles expérimentations.
Donc, en plus d’être un mode de communication engagé, la vidéo est aussi devenue une forme d’art expérimental.
Voici un lien vers un lexique qui te permettra de mieux comprendre certains termes utilisés : Glossaire du cinéma
Tu es curieux ? Tu veux en savoir plus sur le Portapak et les vidéastes qui l’ont utilisé ? Voici des liens vers d’autres contenus qui te permettront d’approfondir tes connaissances.
Opération boule de neigeréalisé par Bonnie Sherr Klein en 1969 qui montre comment les habitants du quartier de Montréal tentent une action concertée, et comme la vidéo les accompagne dans cette démarche.
Bande-annonce Insoumuses réalisé par Callisto Mc Nulty en 2018 avec des images d’utilisation du Portapak par Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig
Bensinger, Charles. 1981. The Video Guide. Santa Barbara : Video-Info Publications. Livre disponible en ligne.
Bibliographie
S.a. s.d. Manuel d’instruction de la caméra AV-3400 de SONY. 9 p. Collections Richard Diehl.
Goldberg, Michael. 1974. The Accessible Portapak Manual 1974-1984. 18 p. Collection Cinémathèque québécoise.
Bourdeau, Roger. 2015. Helen Doyle cinéaste : la liberté de voir. Montréal : Vidéo femmes ; Les Éditions du remue-ménage.
Minne, Julia. 2016. « Collecter, conserver et valoriser la vidéo légère en France (1968-1981) et au Québec (1967-1989) ». Mémoire de maîtrise, Paris, Université Paris 8.
Musée National Centre d’Art Reina Sofía, catalogue de l’exposition Defiant muses: Delphine Seyrig and the feminist video collectives in France in the 1970s and 1980s. Internet archive.