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Les cinéastes en documentaire cherchent à filmer les gens dans l’intimité et dans l’action, sur le vif… mais aucune caméra ne les satisfait. La caméra Aaton répond à leurs besoins. Elle est l’aboutissement de recherches visant à produire une caméra relativement légère. Conçue pour être portée à l’épaule par l’opérateur, elle permet d’enregistrer le son et l’image simultanément sans avoir besoin de câble.
Tu peux te reporter à la section « ressources additionnelles » si tu souhaites consulter un glossaire des termes techniques.
Un chat sur l’épaule pour filmer sur le vif
Bien sûr, la Aaton n’a rien d’un vrai chat, conçue pour être posée sur l’épaule de l’opérateur, elle permet une plus grande proximité avec son corps et celui des personnes filmées.
Créée en 1972 et encore très utilisée aujourd’hui, l’ergonomie de la Aaton propose à l’opérateur confort et stabilité lors du tournage.
La Aaton incarne un des aboutissements des recherches initiées au tournant des années 1960 visant à produire une caméra légère et synchrone. Quelques avancées technologiques majeures ont fait sa renommée, dont : la synchronisation de l’image et du son, le mécanisme silencieux et la légèreté de l’appareil, le changement rapide de magasin, l’inscription du timecode sur la pellicule…
La Aaton constitue une nouvelle étape dans la volonté des cinéastes documentaires des années 60 qui souhaitent créer un cinéma léger et synchrone. L’opérateur peut enfin capter sur le vif des paroles et des gestes de personnes évoluant dans leur environnement. Ils constituent de petites équipes pour proposer des films loin de « l’esthétique figée des beaux documentaires » (Bouchard 2012, p. 79). Les réalisateurs évitent les scénarios préétablis et préfèrent déterminer un angle d’approche en fonction des sujets choisis. Le directeur de la photographie privilégie l’éclairage naturel et au moment du tournage. L’équipe évite l’ajout de commentaires à la bande-son.
Exemples de films tournés avec la Aaton
De nombreux films tournés au Québec, en France et aux États-Unis l’ont été avec la Aaton, mettant à profit les caractéristiques de cette caméra.
Liberty Street Blues
Réalisé par André Gladu, avec Martin Leclerc à la caméra, Liberty Street Blues est un exemple de documentaire imprégné de la philosophie du cinéma direct. On remarque l’importance de l’immersion de l’opérateur dans la parade. Martin Leclerc et sa Aaton juchée sur l’épaule sont très mobiles et se faufilent avec aisance à travers la foule. Il passe de l’intérieur du bar à la rue en un seul mouvement. Cette caméra lui permet de filmer sans contraintes et le preneur de son, lui aussi libre de ses mouvements, peut le suivre à bonne distance. Le caméraman filme les parades à la hauteur des gens, au plus près des musiciens et des danseurs.
Liberty Street Blues
Réalisé par André Gladu, avec Martin Leclerc à la caméra, Liberty Street Blues est un exemple de documentaire imprégné de la philosophie du cinéma direct. On remarque l’importance de l’immersion de l’opérateur dans la parade. Martin Leclerc et sa Aaton juchée sur l’épaule sont très mobiles et se faufilent avec aisance à travers la foule. Cette caméra lui permet de filmer sans contraintes et le preneur de son, lui aussi libre de ses mouvements, peut le suivre à bonne distance. Le caméraman filme les parades à la hauteur des gens, au plus près des musiciens et des danseurs.
Le Roi du drum
Réalisé par Serge Giguère qui est aussi à la caméra, Le Roi du drum permet de comprendre l’importance de la relation tissée entre le caméraman et les personnes filmées. Pour pouvoir filmer avec fluidité dans l’intimité de Guy Nadon et Vic Vogel, dans cet espace intérieur relativement exigu, il faut que le caméraman développe une relation de confiance avec ceux qu’il filme. De cette relation de confiance naît un espace de jeu, entre mise en scène du réel et purs moments de fiction. Cela permet à Ti-Guy, batteur de « drum », de montrer l’étendue de son talent et d’avoir la lumière qu’il mérite.
Genèse d’une caméra, quintessence de la portabilité pour les professionnels
La quête vers la création de caméras portables a poussé l’ingénieur et cinéphile Jean-Pierre Beauviala à créer une caméra professionnelle qui répondait à ses besoins de tournage.
Née de l’idée de créer un projet de film engagé pour plonger le spectateur en immersion audiovisuelle dans les rues de Grenoble, en France, Jean-Pierre Beauviala se rend compte qu’il n’existe pas encore de caméra portable et capable de se synchroniser avec l’enregistreur sonore de manière peu contraignante. Comme la plupart des cinéastes des années 50 et 60, Beauviala se trouve confronté à des appareils imparfaits pour un tournage en immersion, sur le vif.
Beauviala va d’abord travailler pour une des plus grandes compagnies françaises de fabrication de caméras : la firme Éclair. Ces expériences en tant qu’ingénieur-consultant puis directeur des études le forment à la conception d’appareils cinématographiques. Le modèle de caméra Aaton est d’ailleurs le descendant direct de deux caméras emblématiques de la firme Éclair, l’Éclair 16 et le Caméflex. Toutes les deux très utilisées par les cinéastes du direct et de la Nouvelle Vague. L’Éclair par exemple se porte déjà sur l’épaule, mais elle est trop déportée sur l’avant, ce qui demande au caméraman de forcer davantage pour la rééquilibrer ou de porter un harnais. Cela occasionne des souffrances physiques après quelques heures de tournage. En plus, il y a quelques difficultés de synchronisation de l’image et du son, jusque-là réalisée à l’aide de câbles.
Brevet d’invention de la caméra Éclair
Ce brevet de trois pages contient deux pages de descriptif et une figure de la future caméra sur la dernière page. Le brevet garantit la propriété intellectuelle et le monopole de l’exploitation à son inventeur.
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Beauviala va donc inventer différentes caméras pour pallier ces problèmes et répondre aux désirs de renouveau formel et esthétique des cinéastes québécois, français et états-uniens des années 60.
La société Aaton est créée en 1971 en France par Jean-Pierre Beauviala. Avec son équipe, il n’aura de cesse de perfectionner la caméra pour atteindre leur idéal :
En 1975 après deux années de recherches et de tests, la Aaton 7, la première caméra de la firme, est mise en marché. Elle permet une synchronisation avec l’enregistreur sonore, sans câble, grâce à un « moteur Quartz universel ». Les propriétés du quartz sont déjà utilisées en horlogerie pour connaître l’heure exacte. Ici, il rend possible le réglage précis de la vitesse des moteurs des deux appareils (caméra et enregistreur sonore).
Fiche technique de la Aaton
Quelles étaient les caractéristiques de cet appareil qui le rendait si léger et portable et qui lui permettait une grande proximité avec son sujet?
Caractéristiques
Dimensions
50 cm x 20 cm x 23 cm.
Poids
6 kg avec batteries et magasins.
Matériaux
Des composants électroniques composent la caméra et permettent une synchronisation image/son parfaite.
Vitesse de prise d’images
Vitesse de prise de vue variable de 6 à 32 images par seconde.
Composantes et accessoires
Batterie
La batterie peut alimenter la caméra, pour un tournage, jusqu’à 5 magasins en condition normale.
Pellicule de 16 mm
La pellicule utilisée est plus sensible et permet au caméraman de filmer en toutes circonstances, aussi bien en intérieur qu’en extérieur, que de nuit.
Magasin de 120 mètres
Les magasins préchargés se montent et démontent rapidement. C’est un avantage lorsqu’on veut filmer sur le vif.
Système de visée réflex performant
Permet de contrôler avec précision le cadrage puisque le cinéaste voit exactement ce qu’il filme pendant qu’il le filme.
AatonCode
C’est une des premières caméras qui incruste directement un code horaire sur la pellicule au moment du tournage. Il permet une synchronisation du son et de l’image lors du montage.
Poignée en bois de noyer à la forme d’un poing fermé
Réglable en fonction de la morphologie du caméraman. Cette poignée permet de manier plus facilement la caméra pendant le tournage.
Particularités de l’appareil
Pas de microphone intégré à la caméra, besoin d’un microphone indépendant
Le microphone est fixé sur une perche manipulée par un preneur de son. Indépendant du caméraman, le preneur de son peut enregistrer loin de la caméra librement
Zoom
Utilisé par les opérateurs en documentaire, il permet une très grande flexibilité sans avoir à changer les objectifs et donc sans interruption de tournage. Il est modérément utilisé pour faire des effets de zoom avant ou zoom arrière.
La caméra est très silencieuse
Le moteur de la caméra est très silencieux, environ 23 décibels, un genre de murmure à peine audible.
Creux au niveau du corps de la caméra
Permet de poser la caméra sur l’épaule qui est un point stable du corps.
Le fonctionnement et la prise en main
La Aaton répond avant tout au besoin de tournages dans l’action.
Manuel d’instruction pour la caméra Aaton 7LTR 16 mm.
Ce manuel d’instruction de 29 pages contient toutes les étapes permettant de mettre en marche la caméra, l’opérer et la nettoyer. Il y a également une explication de l’acronyme LTR : le L désigne le photomètre incorporé è la caméra et qui donne une indication (lorsque l’opérateur regarde dans l’œilleton) de la quantité de lumière réfléchie par le sujet. Cela permet de régler l’exposition sans avoir besoin d’appareils supplémentaires (comme un posemètre). Le T renvoie aux repères temporels directement inscrits sur la pellicule, lisibles facilement. Cela permet de limiter l’usage de la claquette qui interrompt le tournage. Enfin le R, correspond au relai vidéo. Une caméra vidéo (Aaton VR30 aussi appelée Paluche) est intégrée à la caméra analogique et permet de transmettre une image de ce qui est filmé à un enregistreur sur bande magnétique. Cela permet de visionner sur un poste de télévision ce qui est tourné, soit par les personnes filmées pour un meilleur contrôle de leur image, soit par des producteurs contrôlant la qualité du film.
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Le caméraman (ou son assistant) prépare la caméra : pellicule chargée, batterie insérée. Ensuite, il la juche sur son épaule puis colle un œil sur le viseur afin de cadrer ; l’autre œil peut, au besoin, permettre de voir les alentours. La main sur la poignée en bois guide la caméra alors que l’autre peut changer de focale ou ajuster la mise au point.
La Aaton offre au caméraman un confort et une grande stabilité lors du tournage : tout le poids de la caméra repose sur son tronc et non plus seulement sur ses bras. La Aaton n’est pas tant le prolongement du corps du caméraman qu’un autre corps qui entre en symbiose avec lui : le cinéaste et sa caméra sont co-actifs afin d’être au plus proche de ce qu’ils filment. Les caméramans, pour devenir professionnels, s’entraînent à manier la caméra tout en se déplaçant. Pour y arriver, il est préconisé d’exercer une pratique sportive comme le tir à l’arc pour développer sa précision et la danse, le yoga ou le Tai Chi1 pour apprendre à se mouvoir de manière fluide.
Un tournage se prépare en amont afin d’établir une relation de confiance entre les membres de l’équipe et les personnes filmées dans leur intimité. Une petite équipe composée de deux ou trois personnes peut facilement se faire accepter et filmer au plus près des gens.
Le preneur de son, équipé de son matériel, est toujours à proximité de l’action. Un assistant-caméraman prend en charge l’aspect mécanique de la caméra, il a donc un rôle plus important que l’assistant-caméraman des débuts du cinéma (évoqué dans la fiche de la Bell & Howell). Le caméraman peut donc se concentrer pleinement à ce qu’il filme, entretenir une relation de confiance et de proximité avec les personnes filmées. L’équipe du film doit finalement être imprégnée de ce qui l’entoure, être émotionnellement engagée pour réagir très vite et saisir les moments fugaces.
1 Préconisation de Jean Rouch, un ethnologue et cinéaste.
Brochure sur les caméras Aaton datant de 1978
Cette brochure regroupe la description de plusieurs caméras de la marque, avec plusieurs sections sur le modèle LTR, avec des photographies de tournage, des publicités et des vues éclatées des caméras.
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Utilisateurs et témoignages
Au Québec dans les années 1950, les productions de l’ONF sont réalisées par des équipes techniques qui jusque-là suivent des normes relativement rigides. Michel Brault, un des grands directeurs photo, caméraman et réalisateur québécois emblématique du cinéma direct, raconte comment la formation se passait à l’ONF. Le directeur du département des caméras de l’ONF enseignait aux nouvelles recrues que pour faire de belles images, il fallait être bien assis et examiner longuement l’image avant de tourner. Par ailleurs, pour synchroniser le son, il fallait au moment du montage synchroniser mot par mot en repérant le mouvement des lèvres, c’était une opération longue et fastidieuse. Une alternative était de brancher l’ensemble du dispositif technique sur le secteur, et cela impliquait donc de tourner en studio.
Au milieu des années 1950, une nouvelle génération de cinéastes francophones va bousculer ces codes à la recherche d’authenticité. Le cinéma direct commence ainsi. Il ne restait plus qu’à développer des appareils capables de répondre à ces besoins.
Michel Brault témoigne de l’importance de la Aaton dans les années 1980. Il fut par ailleurs le représentant de la marque au Canada :
Aaton a participé à la fin d’une transformation de la pratique documentaire : le geste du caméraman mène vers de nouvelles écritures documentaires. La synchronisation du son permet de laisser les gens s’exprimer par eux-mêmes sans qu’il y ait de commentaires ajoutés par les réalisateurs. Les protagonistes parlent en leur nom.
Beauviala avait une idée précise de l’utilisation de sa caméra lors de sa conception. Dans la réalité, la Aaton a aussi été utilisée pour les reportages télévisuels. L’ORTF (télévision française jusqu’en 1974) fut un des premiers acheteurs de l’Aaton puis la BBC acheta également des exemplaires de la caméra. Elle fut aussi utilisée sur les plateaux de tournage d’importantes productions de films de fiction jusqu’au passage au numérique.
Ressources additionnelles
Voici un lien vers un lexique qui te permettra de mieux comprendre certains termes utilisés : Glossaire du cinéma
Tu es curieux ? Tu veux en savoir plus sur la Aaton et les cinéastes qui l’ont utilisée ? Voici des liens vers d’autres contenus qui te permettront d’approfondir tes connaissances.
Un film portant sur Jean-Pierre Beauviala et la Aaton disponible en ligne : Un chat sur l’épaule, 2013, réalisé par Julie Conte
Anon. 1981. Aaton Cameras 7 LTR 16 mm Camera Instruction Manual. TR 880 A22. Cinémathèque Québécoise collection. 29 p.
Bouchard, Vincent. 2012. Pour un cinéma léger et synchrone! Invention d’un dispositif à l’Office national du film à Montréal. Paris : Presses universitaires du Septentrion.
Brault, Michel. 1991. « Métamorphose d’une caméra : fragment d’une langue histoire ». Lumières, no 25, p. 22-23.
Coutant, Clément and Jacques Mathot. 1961. Brevet d’invention. No. 1.318.665. Paris, France. 3 p.
Graff, Séverine. 2014. Le cinéma-vérité : films et controverses. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Grizet, Denis. 2017. « Les appareils de prise de vues de la société Aaton (1971-2013). Du ‘direct’ au ‘numérique’ : enjeux techniques et esthétiques ». Mémoire de maîtrise. Université de Rennes.
Marsolais, Gilles. 1997. L’aventure du cinéma direct revisitée. Laval: 400 coups.
Mouëllic, Gilles (dir.). 2020. « L’innovation technique, de l’argentique au numérique : le cas de la société Aaton ». Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma. Sous la direction d’André Gaudreault, Laurent Le Forestier et Gilles Mouëllic. www.encyclo-technes.org/fr/parcours/tous/aaton
Mouëllic, Gilles, et Giusi Pisano (dir.). 2021. Cahier Louis-Lumière, n° 14 (numéro « Aaton : le cinéma réinventé »).